5. Foyer Manouchian



En 2019, il existait un microcosme au sein de la ville de Vitry-sur-Seine : la résidence Manouchian, foyer pour travailleurs immigrés, pour l’essentiel maliens. L’artiste Vitriot Daniel Purroy qui vit et travaille à proximité du foyer, le décrit ainsi:

“ Le bâtiment du foyer, sa structure massive et son isolement par rapport à la ville en fait un objet à part entière, que l’on peut contourner, regarder de jour avec son animation, comme de nuit avec ses grandes fenêtres qui s’illuminent et laissent entrevoir la vie qui s’anime au retour du travail. [...] Le foyer est un lieu particulier, fermé, à part, et pourtant ouvert sur l’extérieur, le quartier, la ville de Vitry, du fait de circulations multiples (restaurant populaire, commerces informels, réparation de voitures)... “

Pendant ces quelques jours au sein du foyer, je verrai une forge et une boucherie en plein air. Une mosquée. Une économie interne répondant à l’enclavement de la résidence Manouchian. Des silhouettes maliennes passer dans l’encadrement d’une porte vêtues d’une tenue orange réfléchissante de chantier, d’un boubou en bazin ou d’une polaire siglée Veolia.

Je découvre que l’essentiel des objets aux alentours de la résidence sont des standards de la mondialisation récupérés et détournés : des cagettes plastiques, des palettes en bois, de grosses boîtes de conserve, des caddies de supermarché. Mais surtout, dans les points de vente à l’entrée du foyer, entre des cartes téléphoniques prépayées et des bouteilles de jus de bissap, je note la présence d’étranges tonneaux bleus.

















































































Fût


PEHD qualité alimentaire,
120 litres à ouverture totale



Les travailleurs maliens expatriés en France s’en servent pour expédier des biens manufacturés et des denrées alimentaires au village. Je décide de reconstituer le trajet de ce standard homologué par l’ONU pour le transport de matières dangereuses qui est également la boîte Colissimo de la diaspora d’Afrique de l’ouest. Les « bidons bleus » sont souvent achetés en gros, parfois récupérés auprès des entreprises ou à Rungis avant d’être vendus au détail en périphérie de la résidence.

D’un volume allant de 60 à 220 litres, ils peuvent être présentés séparés de leurs couvercles et cerclages pour empêcher d’éventuels vols à l’étalage. Le fût nouvellement acheté reste un certain temps dans la résidence, cadenassé le temps d’acquérir les biens à expédier. Certains de ces fûts se retrouvent utilisés dans les cuisines de la cantine du foyer, d’autres suspendus aux balustrades des fenêtres. 

Dans le couloir partant de la cantine du foyer, une affiche indique des horaires de départ de bateaux ; des tarifs en face de modèles de voitures et un numéro de téléphone associé à un nom, et un service : l’enlèvement de fûts. un coup de téléphone et un bref échange avec le M. Alassane de l’affiche m’indiquent que les modalités de l’enlèvement de fûts se règlent sur What’s app : une photo des contenants bleus et leur adresse auront pour réponse un devis et une tranche horaire. Plus tard, lors du diaporama photo de la construction d’un point d’eau dans un village malien, présenté par un résident, je remarque un fût bleu à proximité d’un puits. J’apprends qu’une fois arrivés au village, les fûts servent à nouveau : au transport d’eau, pour la réserve d’épices voire la constitution d’une dot. Ils seront entre-temps passés par Le Havre, auront subi une procédure de dédouanement, été transportés par bateaux dans des conteneurs ou dans le coff re de véhicules d’occasion à destination de la côte ouest-africaine avant d’arriver dans les ports de Dakar, Abidjan ou Lomé.